Yves Bonnefoy. Hamlet (1957).
Bonnefoy est un grand poète contemporain.
Être ou n'être pas. C'est la question.
Est-il plus noble pour une âme de souffrir
Les flèches et les coups d'un sort atroce
Ou de s'armer contre le flot qui monte
Et de lui faire front, et de l'arrêter ? Mourir, dormir,
Rien de plus ; terminer, par du sommeil,
La souffrance du cœur et les mille blessures
Qui sont le lot de la chair : c'est bien le dénouement
Qu'on voudrait, et de quelle ardeur !… Mourir, dormir
- Dormir, rêver peut-être. Ah, c'est l'obstacle !
Car l'anxiété des rêves qui viendront
Dans ce sommeil des morts, quand nous aurons
Chassé de nous le tumulte de vivre,
Est là pour retenir, c'est la pensée
Qui fait que le malheur a si longue vie.
Qui en effet endurerait le fouet du siècle,
L'orgueil qui nous rabroue, le tyran qui brime,
L'angoisse dans l'amour bafoué, la loi qui tarde
Et la morgue des gens en place, et les vexations
Que le mérite doit souffrir des êtres vils,
Alors qu'il peut se donner son quitus
De rien qu'un coup de dague ? Qui voudrait ces fardeaux,
Et gémir et suer une vie de chien,
Si la terreur de quelque chose après la mort,
Ce lieu inexploré dont nul voyageur
N'a repassé la frontière, ne troublait
Notre dessein, nous faisant préférer
Les maux que nous avons à d'autres non sus ?
Ainsi la réflexion fait de nous des lâches,
Les natives couleurs de la décision
Passent, dans la pâleur de la pensée,
Et des projets d'une haute volée
Sur cette idée se brisent, ils y viennent perdre
Leur nom même d'action… Mais taisons-nous,
Voici la belle Ophélie… Nymphe, dans tes prières,
Souviens-toi de tous mes péchés.
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